Origine et jeunesse
Folco de Baroncelli-Javon est né le 1er novembre 1869 à Aix-en-Provence où son père occupait la fonction de directeur du Télégraphe. Il descend d’une vieille famille toscane venue de Florence installée en Provence depuis 1487 dans leur propriété du Palais du Roure à Avignon.
Son père étant parti à Nîmes pour raison professionnelle, le petit Folco est élevé par sa grand-mère maternelle Madame de Chazelles au mas de Laïaud devenu plus tard le Château de Bellecôte près du village de Bouillargues. C’est là que le gamin rencontre des gardians et des juments. C’est également là que les manadiers viennent parquer les taureaux destinés aux courses à la cocarde pendant la fête votive du village de Bouillargues. Madame de Chazelles est une afeciounado qui possède la passion des taureaux et qui parle la langue provençale.
Tout naturellement, le petit-fils va subir l’influence de sa grand-mère et, tout jeune, la Camargue et la culture provençale vont s’imprégner en lui.
Durant son enfance, un évènement va profondément le marquer. Il n’avait pas encore dix ans ce 25 mai 1878 quand sa grand-mère décida de l’emmener au pèlerinage des Saintes Maries de la Mer. Dans la bousculade de la foule des pèlerins il se trouva, un moment, arraché à sa grand-mère et fut poussé dans l’Eglise où il se retrouva au seuil de la Crypte de Sarah. Là, une vieille gitane le porte dans ses bras jusqu’à l’Autel et lui dit : « Si tu es venu jusqu’ici, c’est que toute ta vie tu protègeras notre peuple ! ». C’est effectivement ce qu’il fit.
En 1886 il connaitra sa première grande peine avec le décès de sa grand-mère à laquelle il vouait une véritable adoration. À la suite de ce décès, Bellecôte est vendue et les Baroncelli reviennent à Avignon à l’Hôtel de Javon.
En 1887, il fait la connaissance de Théodore Aubanel, imprimeur avignonnais, libraire, poète et félibre. Il va également se lier d’amitié avec Frédéric Mistral. Sous l’influence de celui-ci, il commence à écrire textes, poèmes et nouvelles et devient rédacteur en chef de la revue du Maître : « L’aïoli ».
Journal mensuel, publié à Avignon (empremarié di fraire Seguin), l’Aiòli défend la cause méridionale et le fédéralisme mais il se veut apolitique, provençal et non félibréen.
Frédéric Mistral en confie la rédaction à Folco de Baroncelli. Sa principale ligne éditoriale est la défense de la langue, de nombreux félibres écrivent dans l’Aiòli et l’illustration du bandeau est d’Eugène Burnand, illustrateur de Mirèio (éd. 1859).
Lire l’article consacré à Eugène Burnand.
À l’Amarée
En 1895, il se marie avec Henriette Constantin, fille d’un riche vigneron de Châteauneuf du Pape et crée la manade « Santenco » avec du bétail acheté à Papinaud qu’il complètera en 1899 avec une partie de la manade Dijol père. Le jeune couple va s’installer aux Saintes Maries de la Mer dans une petite maison louée avant de s’installer, toujours en location, au mas de l’Amarée en 1900. La propriété s’étend sur 200 hectares d’herbages jouxtant des terrains communaux que Baroncelli louera à la commune des Saintes Maries de la Mer.
En septembre 1901 son épouse met au monde une seconde fille qui sera prénommée Maguelonne. La maman Henriette supportant mal la dureté du climat camarguais s’est retirée à Fines Roches. Parfois, Folco se retrouve bien seul dans ce grand mas de l’Amarée. Heureusement, son travail de manadier qui l’occupe sans relâche occulte sa solitude.
En 1902, son célèbre taureau Prouvènço né en 1896 est en pleine forme à tel point que le public le qualifie de « Roi des Taureaux ». Malheureusement, en mai 1909, alors qu’il était au sommet de sa carrière Prouvènço mourut dans un combat de taureaux. Quelques jours auparavant il avait effectué une course extraordinaire à Vauvert au cours de laquelle il avait grièvement blessé le raseteur surnommé « le Grand Beaucaire ».
En 1903, Mistral dirige la première «Fèsto Vierginenco » à Arles. Celle-ci a pour but de glorifier le costume des femmes du pays qui était tombé en désuétude. Si la première édition ne rassemble que 28 jeunes filles, la seconde voit défiler 370 jeunes filles en costume.
Cet éclatant succès lance sur de bons rails cette fête populaire provençale. Si Frédéric Mistral souhaitait que chaque village possède sa « Fèsto Vierginenco », seul de nos jours le village des Saintes-Maries-de-la-Mer a conservé cette journée traditionnelle grâce au Marquis de Baroncelli qui l’organisera jusqu’en 1939.
Folco de Baroncelli-Javon, à la demande de Frédéric Mistral, décide d’associer les gardians aux festivités camarguaises. Devant le succès de cette initiative, le 24 juin 1904 au mas de l’Amarée, le Marquis et quelques-uns de ses amis fondent le Coumitat Virginien. Ce dernier sera remplacé le 16 septembre 1909 par une association dénommée « la Nacioun Gardiano » dont le siège social se trouve aux Saintes Maries de la Mer.
De nos jours, la Nacioun Gardiano poursuit sa mission originelle, à savoir : « maintenir et glorifier le costume, les us et les traditions du pays d’Arles, de la Camargue et des pays taurins, poursuivre l’épanouissement de la langue d’Oc, propager la doctrine félibréenne contenue dans l’œuvre de Frédéric Mistral et de ses disciples ».
En 1905, il fait connaissance à Paris de Joe Hamman, qui lui présente Buffalo Bill à l’occasion d’une représentation de la tournée de sa troupe américaine en Europe. Baroncelli propose à ce dernier les services de ses gardians qui participent avec les Indiens et les cows-boys aux spectacles que Buffalo Bill organise alors dans le cadre de son Wild West Show. Il y trouvera l’inspiration pour créer ses jeux de gardians. A partir de 1909, Baroncelli met à disposition d’Hamman ses gardians et ses taureaux pour ses films faits en Camargue, qui seront parmi les premiers Westerns jamais tournés, conjointement à ceux réalisés eux Etats-Unis.
En 1908, naquit Frédérique, dite « Riquette », future épouse d’Henri Aubanel. De son mariage, Folco eut trois filles, mais ses multiples combats et le rude climat camarguais rendront sa vie de couple particulièrement difficile. Sa rencontre avec Jeanne de Flandreysy, va le bouleverser profondément. Il en deviendra fou amoureux, mais cette passion s’estompera pour devenir une amitié sincère jusqu’à la fin de sa vie. Jeanne l’incitera à écrire et facilitera la diffusion de son œuvre littéraire.
En 1909, il écrit un poème, qui sera repris dans le recueil Blad de luno, adressé à Jeanne.
En 1909 il publie Blad de Luno (blé de Lune) en hommage à Jeanne de Flandreysy puis, en 1910, il publie Babali avec une préface de Frédéric Mistral et des illustrations, entre autres, de son ami Ivan Pranishnikoff.
En 1915, il est mobilisé au sein du 118e régiment d’infanterie territoriale. À la suite d’un « débordement » envers la hiérarchie militaire il est envoyé à Toul à titre de mesure disciplinaire jusqu’en décembre 1915 où il est affecté à la garde de l’usine de sel de Salin de Peccais près d’Aigues-Mortes transformée en camp de prisonnier de guerre. Il ne sera démobilisé qu’en 1919. Cette expérience eut pour effet de l’anéantir et il ne fut plus le même homme après avoir connu la guerre.
En 1918, tout comme le pays, la Camargue est exsangue. Pendant la guerre, les taureaux de nombreuses manades camarguaises se sont mêlés abâtardissant le sang. Peu d’élevages de taureaux camarguais sont restés purs. Parmi les manades « camarguaises » qui ont échappé au « mélange », celle de Folco et celle de Fernand Granon. C’est grâce à cette dernière qu’un véritable miracle va se produire : La naissance d’un veau, dans les bois du Riège va redonner vie et espoir à tout un peuple. Découvert en mai 1916 par le gardian Chevalet au milieu d’une famille de marcassins, le veau miraculeux fut tout naturellement baptisé « Sanglier ». Ce cocardier hors du commun va connaitre une carrière époustouflante et deviendra un véritable mythe qui relancera l’espoir et la « fé di biòu ».
LE SANGLIER le 3 octobre 1931 à Aigues Vives (1)
En 1960, le célèbre manadier Fernand GRANON dit « le Centaure » évoque ses souvenirs dans l’émission « croquis » produite par la RTF. Dans un passage, il y évoque, avec une pointe de malice, une rencontre avec Folco de Baroncelli.
Malgré les difficultés, Baroncelli, avec la Nacioun Gardiano, se lance dans l’organisation de spectacles dénommés « fêtes gardianes » ou fêtes provençales ». Pour cette occasion, il crée les célèbres jeux équestres camarguais inspirés par le Wild West Show de Buffalo Bill.
Lire l’article consacré à l’inauguration de la statue de Mireille le 18 septembre 1920
Dès 1920 il lance l’idée d’un Parc Naturel. Il faut que ce territoire vive, avec de vrais gens et non un musée pour touristes. A la fin de sa vie il dira : « J’ai voué ma vie à un idéal: la Provence, et je n’ai embrassé mon métier que pour mieux servir cet idéal, pour me trouver plus près du peuple provençal, pour mieux arriver jusqu’à son cœur et pour mieux l’aider à sauver son passé de gloire, sa langue et ses coutumes.” C’est finalement André Malraux, ministre de la culture du Général de Gaulle, qui en 1964 engagera la réflexion sur la question du développement régional et de la protection de l’environnement en Camargue. Il fallu néanmoins attendre une décennie pour voir enfin la création du Parc Naturel Régional de Camargue en 1973.
En 1924, il demande à Hermann Paul de concevoir et dessiner la croix de Camargue qui symbolise la Nacioun gardiano. La croix originelle est réalisée par Joseph Barbanson, forgeron aux Saintes Maries de la Mer et inaugurée le 7 juillet 1926 sur un terre-plein de l’ancienne sortie sud-est de la cité camarguaise.
Lire l’article consacré à la CROIX de CAMARGUE.
Au Simbèu
Lire l’article consacré aux cabanes de gardian du mas du Simbèu
Malheureusement, les problèmes financiers s’accumulent et en 1930, désargenté, il doit quitter le mas de l’Amarée dont il n’est que locataire. Les Saintois lui offrent alors des terres, où il bâtira le mas du Simbèu à l’ouest du village, près de l’embouchure du Petit Rhône.
Dans les années 1930, il dénonce le projet d’assèchement du Vaccarès, se bat pour la création d’une réserve en faisant valoir l’importance à venir du tourisme et manifeste pour le maintien des courses camarguaises. Il témoigne aussi en faveur du maire communiste des Saintes-Maries-de-la-Mer, Esprit Pioch, et prend parti dans la guerre d’Espagne pour les Républicains espagnols. Il soutient également les gitans et leur pèlerinage. À sa demande, l’Archevêque d’Aix, Monseigneur Roques, tolère que la statue de Sara, patronne des gitans, soit amenée jusqu’à la mer, ce qui est réalisé, pour la première fois, le 25 mai 1935. Toutefois, ce n’est qu’à partir de 1953 que des prêtres participeront à cette procession.
Le déclin
La fin des années 1930 n’est pas très heureuse pour le Marquis. En février 1935, il tombe gravement malade puis est très affecté par le décès de son épouse, survenu le 8 août 1936. À la veille de la guerre, en février 1939, c’est la fin de sa manade.
En novembre 1941, Folco de Baroncelli lance un appel “au secours” pour aider les gardians et sauver le bétail dans “LE PETIT JOURNAL”. Cet appel témoigne déjà des graves difficultés que rencontrent les manadiers à cette époque.
Malheureusement, cela n’est qu’un début et, lors de leur arrivée en zone libre, les allemands s’installent, dès le 16 novembre 1942, dans son mas du Simbèu qui sera réquisitionné en janvier 1943. Finalement, le 17 février, le marquis de Baroncelli en est expulsé et s’installe dans le village même des Saintes, chez sa fille, puis, affaibli par une blessure à la jambe, il retourne à Avignon où sa fille benjamine Riquette prit soin de lui. C’est là qu’il mourut le 15 décembre 1943.
Le mas du Simbèu sera détruit à l’explosif en 1944 par les troupes allemandes lorsqu’elles quittèrent le pays.
Comme un symbole, une des 2 cabanes de gardian est restée debout au milieu des ruines.
Le 21 juillet 1951, les cendres du marquis sont transférées dans un tombeau à l’endroit même où se trouvait le mas du Simbèu mais son cœur est placé dans la chapelle de ses ancêtres, au palais du Roure, ancien hôtel de Baroncelli-Javon. Lors de ce transfert, alors que le convoi funèbre longe les prés, les taureaux de son ancienne manade se regroupent et suivent lentement le cortège, comme pour accompagner leur maître une dernière fois. Ainsi, la volonté qu’il avait exprimée a été exaucée :
«Lorsque je serai mort, quand le temps sera venu, amenez mon corps dans la terre du Simbèu, ma tête posée au foyer de ma vie, mon corps tourné vers l’église des Saintes, c’est ici que je veux dormir ».
Un idéaliste génial
Dans la préface du livre de l’historien américain Robert Zaretsky « Le Coq & le Taureau » ou « Comment le marquis de Baroncelli a inventé la Camargue » la regrettée Sabine Barnicaud qui fut une remarquable conservatrice du Palais du Roure à Avignon résume parfaitement la personnalité et l’action du marquis de Baroncelli dans les termes suivants :
«… Son opiniâtreté d’idéaliste a déteint, et la Camargue, pays jusqu’alors sauvage et presque ignoré, s’est trouvée propulsée au premier rang des pays de France que tout le monde a voulu connaitre. Il s’est battu « à bec et ongles », selon la devise d’Avignon, sa ville tant aimée, pour préserver son « désert camarguais » contre les appétits destructeurs du « progrès industriel », commercial et immobilier. Dès 1920 il élabora un projet, prémonitoire, de création d’un parc naturel.
Il a hissé au premier plan « lou mestié de glòri », le métier de gloire de ces hommes humbles et souvent frustres qu’étaient les gardians.
Et si Baroncelli, homme public, admiré, courtisé, adulé, a connu bien souvent la solitude et le découragement, il a vécu cependant des moments ô combien enivrants pour le poète qu’il était …».
Œuvre littéraire
« Partance » (1889), recueil de poésies provençales
« Blé de lune » (1909), souvenir de ses amours avec Jeanne de Flandreysi
« Babali » (1910), raconte des amours entre un gardian et une teinturière d’Avignon
« Le taureau » (1924), hommage à la Camargue
« Sous la tiare d’Avignon » et « Le rosaire d’amour » (1935), poésies
(1) : Le 3 octobre 1931, Gaston Doumergue l’enfant du pays, qui vient tout juste de prendre sa retraite dans son village natal d’Aigues Vives après son septennat présidentiel, inaugure le nouveau plan taurin qui portera son nom. À cette occasion, on fit venir LE SANGLIER de la manade Granon pour son ultime présentation en piste.
Bibliographie :
En Camargue avec Baroncelli – René BARANGER (ed. CE CAMARIGUO)
À la gloire de la bouvino – Marcel Salem (ed. de la Capitelle)
Le Coq & le Taureau – Robert Zaretsky (ed. Gaussen)
Les Manades d’Antan – Jacky Tourreau (ed. Sansouire)
Bibliothèque Nationale de France (BNF)
Institut national de l’audiovisuel (INA)