La naissance de Vovo.
Quand Gyptis a pris la poudre d’escampette dans les marais de capette.
Une légende populaire veut que Vovo soit né le jour de Noël. Sans doute les circonstances « miraculeuses » de sa naissance auront contribué à ce que l’on ajoute un caractère quelque peu « messianique » à ce taureau en tous points hors norme.
Le récit d’Aubanel.
Bien évidemment il n’existe aucun témoin visuel de la naissance de Vovo car sa mère Gyptis a mis bas, un jour d’automne, dans la solitude des enganes du Clamadou.
Dans un opuscule intitulé « 1896 – 1996 : Centenari de la manado Santenco Baroncelli – Aubanel », qui fut publié à l’occasion du centenaire de la manade, un témoignage d’Aubanel retrace la naissance de Vovo dans les termes suivants : « Gyptis s’était échappée de Beauvoisin, était descendue jusqu’à Gallician, et avait gagné le Grand Radeau. Le jour de Nöel 1944, la vache met bas : ce petit veau, né loin de la manade sera le Grand Vovo ».
Comme il est dit dans ce témoignage, le petit veau est né loin de la manade, et donc loin du regard des hommes. Par ailleurs, l’idylle taurine eu lieu au Clamadou et non au Grand Radeau, la manade Raynaud n’étant arrivée au Grand Radeau qu’en 1945.
Le récit des frères Raynaud.
A l’occasion de la commémoration du centenaire de la manade Raynaud en 2004, un document exposé retraçait la naissance de Vovo.
Dans le film « Vovo taureau de légende » de Gilles Arnaud, Marcel Raynaud situe la fugue de Gyptis « en 42 … ou 43 lors de la bandido de la fête des vendanges fin septembre ».
Dans son ouvrage « Les manades d’antan » Jacky Tourreau date l’origine de la fugue de Gyptis à Beauvoisin le 22 août 1943 lors de la bandido donnée à l’occasion d’une course organisée au profit « des œuvres pour nos chers prisonniers » (1).
Le contexte.
Cette histoire se déroule durant la seconde guerre mondiale entre 1942 et 1944. Au lendemain de la défaite de la France, la course libre venait d’être interdite et ce n’est qu’à la suite d’une requête formulée par le Marquis de Baroncelli auprès des autorités françaises de l’époque qu’elles purent reprendre l’année suivante (2). Durant toutes ces années de guerre, l’activité de la bouvine tourne au ralenti et les manadiers, victimes des restrictions et des braconniers, survivent comme ils peuvent. Il faudra attendre la libération pour assister à une véritable reprise des courses libres et de l’activité taurine.
Au Clamadou (3).
En 1943, Marcel et Jean Raynaud passaient l’hiver à la cabane du Clamadou où les conditions de vie étaient particulièrement difficiles. Par ailleurs, Gyptis n’appartenait pas à la manade Raynaud et l’étalon Provence, qui n’avait effectué que deux courses d’emboulés, était considéré comme un taureau très ordinaire. Du reste, à la libération, le malheureux Provence fit partie du lot des bêtes qui furent désignées pour être abattues à la demande du Comité de la Libération d’Aigues-Mortes pour fournir de la viande aux populations qui manquaient cruellement de nourriture. Bien sûr, en 1945, nul ne pouvait imaginer la future carrière de Vovo, sans quoi son géniteur eût probablement été épargné.
Autant dire que dans un tel contexte, l’aventure de Gyptis avec Provence et la naissance de leur veau n’étaient pas une préoccupation majeure pour les deux jeunes gardians.
Au Bois des Rièges.
À l’époque, Aubanel louait un territoire appartenant à la Compagnie des Salins qui comprenait notamment le Bois des Rièges. Après l’invasion de la zone sud par les troupes allemandes en novembre 1942, la situation de la manade des Saintes Maries, qui était déjà difficile, devint critique à la suite de la réquisition totale du domaine du Marquis par les forces d’occupation. A la demande expresse d’Aubanel, la direction de Péchiney accepta alors de poursuivre la location du Bois des Rièges à la manade Baroncelli – Aubanel (4).
Sous l’effet de l’occupation allemande la situation de la manade Raynaud devint à son tour préoccupante. C’est alors qu’Aubanel proposa de l’accueillir au Bois des Rièges. Ce séjour est évoqué dans le livre « La Dynastie des Raynaud 1904 – 2004, page 43 » : « à cette époque on n’hésitait pas à mélanger carrément les manades. La dernière fois que nous l’avons fait, c’était en 1943 – 1944 pendant la dernière guerre. C’était l’occupation et Aubanel, le gendre du Marquis, nous a pris sur le Bois des Rièges aux Saintes-Maries parce qu’on ne savait plus où aller. Tout était occupé, miné. On était pratiquement sur la route avec les taureaux […] Voilà où nous avons passé, nous Marcel et Jean, peut-être le plus bel hiver de notre vie avec Bonnafous, à garder sur le Bois des Rièges ».
Mais dans le même ouvrage à la page 91, le séjour de la manade Raynaud au Bois des Rièges est daté en 1942 – 1943. Dans son livre « Les Manades d’Antan », Jacky Tourreau situe également le séjour de la manade Raynaud au Bois des Rièges entre l’automne 1942 et juillet 1943.
Les débuts de Vovo.
Selon le témoignage des frères Raynaud (3), la « vie publique de Vovo a commencé par une abrivado alors qu’il était doublen et nous y avons participé. On donnait un coup de main au père Aubanel à l’occasion de la fête des Saintes […] Aubanel voulait mener ce jour là ce fils de Gyptis pour voir son comportement en piste. Nous sommes en 1946, il a bien deux ans. on était parti du sauvage à cheval, pour aller chez Aubanel faire la ferrade du 26 mai pour la journée Baroncellienne ».
À la lumière de ce récit, Vovo aurait fait sa première apparition publique en mai 1946 alors qu’il était doublen et qu’il avait « bien deux ans » ce qui doit être compris comme « il avait plus de deux ans ». Dans son livre « À la gloire de la bouvino page 113 », Marcel Salem écrit à propos de Vovo : « Il avait maintenant plus de deux ans, il était costaud, il fallait enfin le présenter dans une piste. On décida de le faire débuter aux Saintes Maries de la Mer, banc d’essai des jeunes taureaux de la manade Aubanel de Baroncelli. ». Question : si Vovo était né à l’automne 1944, comment pouvait-il avoir plus de deux ans le 26 mai 1946 ?
Au cours de l’année 1946, les afeciouna purent voir Vovo à l’œuvre à plusieurs reprises (5). En août, De Montaud Manse avait besoin d’un doublen pour compléter une course qu’il devait donner à Saint Laurent d’Aigouze et Henri Aubanel lui prêta Vovo. Quinze jours plus tard, il se trouvait incorporé avec des pensionnaires de Raynaud à Saint-Geniès-des-Mourgues. Ses premières colères, qu’il assouvit contre les planches, déchaînèrent l’enthousiasme du public. Le 20 septembre 1946, il était à Mouriès et c’est le raseteur Simian qui inaugura l’impressionnante série de « roustes » monumentales qu’il a distribué tout au long de sa carrière de cocardier.
Alors, même si Vovo était un surdoué de la course libre, est-il imaginable qu’un taureau né en fin d’année 1944 ait pu réaliser autant de sorties spectaculaires et probantes durant le printemps et l’été 1946 alors qu’il n’avait pas encore 2 ans ? En cherchant un peu, on devrait pouvoir trouver les traces écrites de ces différentes manifestations taurines pour s’assurer qu’elles ont bien eu lieu en 1946 et non en 1947 …
La part du mystère.
Le croisement de ces nombreux témoignages, parfois contradictoires, laisse planer un petit doute sur le vêlage de Gyptis dans les enganes du Clamadou. Mais qu’importe si la date de naissance de Vovo garde à jamais sa part de mystère, cela ne fait qu’ajouter au mythe de ce taureau d’exception.
Laissons donc la conclusion de cette rencontre improbable à Marcel Raynaud qui la résume ainsi dans le film de Mathieu Arnaud « Vovo taureau de légende » : « le hasard, je dis le hasard fait bien les choses ».
Finalement, n’est-il pas réconfortant de voir que le hasard, la nature et l’instinct primitif du taureau épris de liberté peut produire un champion de la trempe de Vovo ?
La carrière de VOVO
En ce temps-là, la course camarguaise s’appelait encore du beau nom de ” course libre“. Un taureau hors du commun allait ouvrir les quarante glorieuses de la bouvino.
Au terme d’une naissance si peu banale, se posait la question de savoir à qui appartenait le bouvillon dont on ignorait qu’il était destiné à un si brillant avenir. D’ordinaire, ce sont les mâles qui fuguent pour aller chasser en terre étrangère les femelles d’un autre troupeau. Or, dans le cas de Gyptis, c’était la pensionnaire de la manade Santenco qui, au terme d’une rocambolesque fugue avait fait la rencontre de Provence, le bel étalon, sur le domaine du Clamadou.
Loyalement, Casimir Raynaud prévint Henri Aubanel qu’une de ses vaches venait de mettre au monde un mâle en ajoutant qu’il pouvait venir le récupérer avec sa mère quand il le souhaiterait.
Vovo et sa mère Gyptis furent rendus à Aubanel en août de l’année suivante au Cailar, avant de rejoindre leur pâturage traditionnel aux Saintes Maries de la Mer.
Mais Vovo garda longtemps la nostalgie du Clamadou et il lui arriva fréquemment de fuguer en traversant le Petit Rhône au Sauvage pour rejoindre le territoire où il était né.
C’est CLAN-CLAN, la figure légendaire des Saintes, qui marqua Vovo avec la grasille de la manade Aubanel.
En mars 1949, Vovo fut confié à Paul Laurent. C’est à cette époque qu’il vint prendre pension aux Marquises pour y préparer ses futurs exploits.
La force et la bravoure
Après une jeunesse passablement agitée, à l’âge de deux ans, Vovo, qui était déjà robuste et vigoureux, fut présenté au public pour la première fois aux Saintes Maries de la Mer. Marcel Raynaud raconte (6) : « L’abrivado fut conduite aux Arènes par Henri Aubanel aidé de la famille Raynaud, Fernand Ferraud et Jean Sol. La grande porte des Arènes n’ayant pas été refermée assez rapidement, Vovo et deux vaches firent demi-tour et s’en retournèrent à l’Amarée chez De Montaud. Là, les gardians les reprirent pour les reconduire aux Saintes. Sitôt arrivé dans le village, apercevant un photographe en pleine action, Vovo le chargea et lui fit faire un magnifique vol plané. Ensuite il s’enfuit pour revenir à l’Amarée où, après avoir traversé la manade De Montaud, il se jeta dans le Petit Rhône le traversa et revint chez les Raynaud, au Sauvage, où il resta deux mois ».
La carrière de Vovo fut courte mais éblouissante au point qu’il devint une véritable légende et la référence pour évaluer les qualités et la bravoure des cocardiers d’exception qui lui ont succédé.
Le point d’orgue de cette brève carrière fut sans doute la course donnée aux arènes de Nîmes le 11 novembre 1952. Sur l’affiche, Vovo est en bonne compagnie avec Sangar, Mioche, Cosaque, Juif et Gandar. 18000 spectateurs garnissent les gradins des arènes ce qui ne s’était jamais vu pour une course libre. Ce jour- là, Vovo surclassa ses éminents congénères et obtint un véritable triomphe qui marquera sa légende. Il rentra au toril après une prestation magistrale avec une ficelle dont la prime avait atteint 150000 francs, une véritable fortune pour l’époque.
VOVO à Nîmes le dimanche 4 mai 1952
Dans son livre « Goya Seigneur de Camargue », Gérard Pont, à l’occasion d’une course qui eut lieu à Lunel le 22 avril 1951, narre de manière très réaliste et édifiante ce que pouvait être une prestation de Vovo au temps de sa splendeur.
« Sorti du toril comme un boulet de canon, Vovo donna un énorme coup de barrière après le raseteur Dora. Fidani eut droit au sien dans les mêmes conditions, et c’est alors que Garric, ne voulant pas être en reste, eut la malencontreuse idée de défier le taureau. Vovo atteignit les planches en même temps que lui, sauta et bondit sur le malheureux raseteur qui n’avait pas eu le temps de s’enfuir. Fou de rage, il essaya de le transpercer avec ses cornes, mais n’y parvenant pas, il se mit à le piétiner férocement et, comble de la furie, lui arracha un morceau du cuir chevelu à l’aide de ses dents ! Garric ne dut son salut qu’à ses collègues qui le tirèrent par-dessous la barricade. Voyant que son homme en blanc lui échappait, Vovo devint alors fou furieux. Il s’attaqua aux poteaux métalliques qui protégeaient la contre-piste, projetant ici et là des spectateurs qui n’avaient pas eu le temps de fuir. Il n’y eut pas de catastrophe ce jour-là car les cornes du taureau étaient trop courtes et dépointées, mais la panique provoquée par Vovo fut indescriptible. Une heure après cette bataille fantastique, Vovo avait retrouvé tout son calme dans le char qui le ramenait aux prés ; un calme dont il ne se départissait jamais dès lors qu’il retrouvait ses compagnes».
VOVO : coup de barrière aux Saintes le 13 août 1950
Malheureusement, la surexploitation de ce magnifique cocardier, qui donnait toujours le meilleur de lui-même, eut pour effet de raccourcir sa carrière au point que dès l’âge de neuf ans il n’était déjà plus que l’ombre de lui-même et l’on qualifierait aujourd’hui de « courses de trop » les nombreuses sorties qu’on lui a infligées durant les deux dernières années de sa carrière.
De la gloire à l’oubli, le mythe demeure
Novembre 1959, l’automne est gris et froid comme la Méditerranée toute proche. Il pleut sur la Camargue et Vovo, loin de la manade qu’il n’a plus la force de suivre, agonise, seul. Comme ils sont loin tous ceux qui l’ont tant admiré et qu’il a fait vibrer sur les gradins ensoleillés des arènes de Provence et du Languedoc. Meurtri et brisé dans sa chair et dans ses os, le colosse décharné récolte les fruits amers de sa bravoure. Il va s’éteindre tout près du tombeau du Marquis de Baroncelli, qui mourut alors que Vovo naissait, comme pour créer une proximité symbolique et boucler, au paradis de la bouvine, l’histoire d’une rencontre qui n’eut jamais lieu sur terre.
Après un demi-siècle d’oubli, la commune des Saintes Maries de la Mer a fait ériger une statue à la gloire de Vovo sur le parvis des arènes sur le mur desquelles figurait déjà un bas-relief à son effigie.
Une descendance prestigieuse
Vovo n’obtint jamais le Biòu d’Or qui fut créé en 1954 alors qu’il était déjà sur le déclin. Mais ce cocardier d’exception n’eut pas besoin de trophées ou de médailles, ni même de statue, pour célébrer sa gloire et lui réserver une place de choix dans la légende de la bouvine tout comme dans le cœur et la mémoire de tous les afeciouna. Par bonheur, Vovo qui était un taureau entier eut une carrière d’étalon féconde qui produisit notamment plusieurs cocardiers de renom. Citons, parmi les plus célèbres :Tigre (Biòu d’Or en 1959 et 1960), Pascalon, Ramoneur, santiago, Loustic (Biòu d’Or en 1965, 1966 et 1967) . Par ailleurs, le célébrissime Goya était le fils de Loustic et le petit fils de Vovo.
Gilbert ROUSSEL
NOTES :
(1) : Jacky Tourreau : « Les Manades d’Antan » p. 167-168 – ed. Sansouire
(2) : Fonds Baroncelli Palais du Roure (Avignon).
(3) : Bernard Dumarcher : « La Dynastie des Raynaud 1904-2004 » ed. Camarina.
(4) : « Sel et Bouvino à Salin de Giraud », article de M. Audema publié dans le
N° 111 du Bulletin des Amis du vieil Arles de juillet 2001.
(5) : Source G. Hugues repris sur le site www.bouvine.info.
(6) : Commémoration du centenaire de la Manade Raynaud
BIBLIOGRAPHIE :
Marcel SALEM : «À la Gloire de la Bouvino » (ed. de la Capitelle)
Gérard PONT : « Goya, Seigneur de Camargue » (ed. Camariguo)
« La légende des Biòu d’Or » (ed. Gilles Arnaud)
Bernard DUMARCHER : « La Dynastie des Raynaud 1904-2004 » ed. Camarina.
Jacky TOURREAU : « Les Manades d’Antan » ed. Sansouire
opuscule « 1896 – 1996 : Centenari de la manado Santenco Baroncelli – Aubanel »
film « Vovo taureau de légende » de Mathieu Arnaud